Archives de catégorie : Histoire de la société parisienne

Sculpture de Niki de Saint Phalle, détail, Fontaine Stravinsky, Paris 4èm.

L’eau à Paris

Il y a plus de 2000 ans, la petite tribu des parisi s’établit sur la rive droite d’un immense fleuve, face à l’actuelle île de la Cité. La situation géographique est favorable au commerce et à la sécurité. La Seine procure de l’eau en abondance.

Quand Paris était Lutèce

Les romains fondent leur ville sur la rive gauche et l’île de la Cité. Ils préfèrent l’eau des sources à celle de la Seine et doivent la capter dans les environs. Ils construisent un aqueduc dit d’Arcueil. L’eau obtenue est abondante et saine. Après leur départ, cette construction est abandonnée puis détruite.

Dessin d'une vue panoramique de l'aqueduc romain
Aqueduc romain

Fleuves, puits et fontaines

Il existe trois manières d’avoir de l’eau. Elle peut être puisée directement dans la Seine. Elle se trouve également dans les nappes phréatiques en profondeur dans le sol, accessibles par des puits. Elle est aussi captée sur les hauteurs, dans les rivières; elle est alors acheminée par un aqueduc qui alimentent des fontaines. Utilisées alternativement ou en même temps selon les époques et les progrès techniques ces trois solutions ont permis la survie de la population.

Les aqueducs des moines au 12ème siècle

Depuis le départ des romains, la seule source d’approvisionnement en eau des parisiens est la Seine. Les égouts s’y déversent, elle est très polluée. Des communautés de moines décident la construction d’un aqueduc, à l’imitation des romains. L’eau est captée des hauteurs de Belleville et de Ménilmontant. Un système d’alimentation sain et efficace est mis en oeuvre.

Enluminure représentant trois moines assis à leur pupitre et penchés sur leur manuscrit, sous des arcades
Moines au travail

Les premières fontaines publiques

L’État fait mainmise sur les aqueducs des moines. La gestion de l’eau est désormais confiée au tout puissant prévôt des marchands. Les premières fontaines publiques apparaissent au 13ème siècle. La plus ancienne connue est la fontaine Maubuée. Encore visible, elle est déplacée et remaniée au 18ème siècle. La ville compte dix-sept fontaines, toutes sur la rive droite, à la fin du 15ème siècle.

Fontaine de Maubuée à l'angle de la rue de Venise Paris 4ème
Fontaine Maubuée

L’eau de la reine

En 1625 la reine Marie de Médicis aménage pour son palais du Luxembourg un somptueux jardin à l’italienne avec des jeux d’eau spectaculaires. Les besoins sont importants. Ses ingénieurs retrouvent les eaux captées par les romains. Ils construisent un nouvel aqueduc reprenant l’ancien tracé romain. Les pouvoirs publics soutiennent et participent à l’entreprise. Elle bénéficie ainsi aux habitants de la rive gauche qui ont enfin leurs premières fontaines.

La pompe de la Samaritaine

Au début du 17ème siècle, la situation s’est dégradée. Le roi Henri IV entreprend de grands travaux. Il rénove les fontaines qui, engorgées de vase et de calcaire, sont inutilisables. Il réactive d’anciens aqueducs. Estimant que seule l’eau de la Seine peut subvenir efficacement aux besoins des parisiens, il met en oeuvre un projet novateur. Une machine sur pilotis est installée à la hauteur du Pont Neuf. Elle actionne quatre pompes immergées qui aspirent l’eau et la refoulent dans un réservoir. Elle doit son nom au thème du bas-relief qui la décore, le récit évangélique de la Samaritaine. La pompe fonctionne jusqu’au début du 19ème siècle.

La compagnie des eaux de Paris

Au 18ème siècle, la ville connait une expansion importante. Les anciens faubourgs sont intégrés et deviennent les quartiers en vogue. Les frères Perier, banquiers, créent en 1777 la compagnie des eaux de Paris. L’objectif est de renforcer les captations, purifier l’eau par traitement chimique et généraliser la distribution.

La solution des canaux

Ils permettent de dévier l’eau des rivières vers Paris. Napoléon lance la construction du canal de l’Ourcq. Mis en service en 1825, il permet une augmentation spectaculaire de la production. Par ailleurs, des fontaines avec de l’eau jaillissante voient le jour. Elles sont exclusivement décoratives.

La menace du choléra

Les épidémies sont liées à de mauvaises conditions sanitaires. Celle de 1832 est dévastatrice. Elle provoque une prise de conscience hygiénique. L’eau provenant de la Seine et de l’Ourcq est très polluée. Les progrès de la géologie permettent une meilleure exploitation du sous-sol. Arago, physicien, propose de puiser plus profondément dans le sol. Les puits à manivelles sont insuffisants. Il met au point un système de forage pour atteindre des nappes phréatiques à plus de 500 mètres de la surface.

Caricature de Grandville montrant des ministres atteints du choléra
Ministres atteint du choléra

La solution du Baron Haussmann

Le célèbre préfet responsable de la modernisation de Paris fait de l’eau une priorité. Elle est indispensable au développement de la ville. Il souhaite établir un système de captation des sources souterraines. Certaines se situent à plus de 100km de Paris, en direction de Sens, Fontainebleau, Provins ou Dreux. Il confie le projet à l’ingénieur Belgrand. L’eau est acheminée par des aqueducs, puis stockée dans des réservoirs bâtis à l’entrée de la capitale. Le principe est toujours en vigueur aujourd’hui.

Les fontaines de l’Albien

Les progrès techniques permettent des forages de plus en plus profonds. En 1855 une nappe d’eau immense située sous la capitale, l’Albien, est atteinte par un puit artésien. Elle est à 600m sous terre. Elle approvisionne trois fontaines. Situées dans le 16ème (square Lamartine), le 18ème (square de la Madone) et le 13ème (Butte-aux-Cailles), elles attirent les parisiens en quête d’eau de source naturelle.

Richard Wallace le philanthrope

Cet anglais fortuné est à Paris en 1870, au lendemain de la guerre. Il a vu les parisiens souffrir du manque d’eau potable. Il fait don à la ville de cinquante fontaines à boire. Elles sont installées sur les lieux de passages des travailleurs et les lieux de fêtes. Outre la volonté de mettre fin à la pénurie, il y a une l’arrière pensée moralisatrice d’inciter à la sobriété. Le modèle est en fonte de fer, un matériau résistant et permettant la reproduction en nombre. Leur couleur verte évoque la nature. Quatre cariatides se tournent le dos. Elles portent un dôme couvert d’écailles et orné de dauphins. L’eau coule au centre. A l’origine des gobelets en étain étaient retenus par une chainette. Ils sont supprimés en 1952 pour des raisons d’hygiène. Ces fontaines font aujourd’hui partie du patrimoine.

Fontaine Wallace dans une avenue arborée de Paris
Fontaine Wallace

L’eau courante

Elle reste longtemps celle des fontaines, dont le nombre augmente au 19ème siècle. Les progrès techniques permettent leur bonne alimentation. Elles offrent aux parisiens de l’eau à volonté. L’eau courante à domicile est progressivement installée. En 1884 deux tiers des habitations de Paris sont raccordées. Les fontaines devenues inutiles seront souvent détruites. De très beaux spécimens demeurent heureusement et contribuent à la beauté de la capitale.

Publicité ancienne pour une marque de lavabos montrant un couple dans une salle de bain.
Publicité pour lavabos

Les courtisanes à Paris au 19ème

Courtisane, une définition…

Le courtisan est à l’origine celui qui fait partie de la Cour d’un souverain, et cherche à gagner ses faveurs par la flatterie. Les maîtresses du roi sont appelées courtisanes. Le mot prend un sens différent au 19ème siècle, pour désigner une femme qui vend ses faveurs à des hommes de la grande bourgeoisie ou de l’aristocratie. Elle est la « maîtresse officielle ». D’origine modeste, elle apprend les codes de la haute société parisienne pour s’y introduire, et acquiert grâce à ses amants successifs des fortunes considérables. Véritable phénomène de société, essentiellement parisien, la courtisane contribua à la réputation de « ville de plaisirs » de la capitale.

Sorties du ruisseau

La plupart des courtisanes ont connu une enfance misérable, et subies des sévices.  Caroline Otero, née d’un père inconnu, est violée à 11 ans, puis précipitée par un premier amant dans le monde de la prostitution. La Païva voit le jour dans le ghetto de Moscou ; elle est mariée de force à dix-sept ans à un pauvre diable tuberculeux. Liane de Pougy reçoit une éducation religieuse avant d’être elle aussi forcée d’épouser trop jeune un homme qui la brutalise, allant jusqu’à lui tirer une balle dans la fesse ; le médecin auquel elle demande si cela se verra lui répond « il n’en dépend que de vous » …Marie Duplessis a un père alcoolique qui l’abandonne à l’âge de sept ans, après la mort de sa femme; il revient la chercher lorsqu’elle a quatorze ans pour la vendre à un débauché septuagénaire. Abusées très tôt, ces femmes nourrissent un sentiment de revanche et une volonté de domination sur la gent masculine.

Grisettes et lorettes

   Le monde de la prostitution est complexe et « hiérarchisé ». Les prostituées sont généralement pensionnaires de maisons closes, allant des bouges infâmes, où elles ne survivent pas longtemps, aux lieux « de haute tolérance » fréquentés par les bourgeois ; elles deviennent rarement courtisanes.  Les grisettes sont des ouvrières, fréquemment employées dans les métiers du textile. Leur travail est usant, et le salaire insuffisant ; elles arrondissent leur fin de mois en faisant commerce de leur corps. Certaines se laissent séduire par un étudiant qui partage leur vie quelques temps, avant de faire un mariage honorable dans son milieu; abandonnées, parfois enceintes, elles sombrent dans la misère. D’autres trouvent un protecteur fortuné, qui les installera dans un appartement ; elles changent de statut, deviennent Lorettes ; les plus douées accèderont à celui de courtisanes.

scène de Maison close par Toulouse Lautrec
Maison close

La beauté ne fait pas tout   

Les courtisanes ne se contentent pas d’être belles. Leur « prestation » n’est pas un simple échange charnel. Conquérir les hommes les plus fortunés exige bien davantage. Elles n’ont pas d’éducation, mais apprennent les codes de la haute société grâce à leur instinct. Elles ont un sens inné de l’élégance. Afin de briller dans le grand monde, elles acquièrent une culture générale à l’aide de professeurs de diction, de musique etc… Elles tiennent un salon où elles reçoivent l’élite masculine. Leurs amants doivent être fiers de s’afficher avec elles.  Entre le monde de la prostitution et celui de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie, elles fascinent.

photo de la Castiglione masquée
La Castiglione

Insoumises et émancipées

Devenir courtisane est au 19ème siècle le seul moyen pour une jeune fille pauvre, belle et ambitieuse d’échapper à sa condition, à une vie de misère et d’exploitation. Elle a généralement perdu sa virginité très tôt, et ne peut aspirer à un mariage « honnête ». Qualifiée de lionne, la courtisane est insoumise, libre et indépendante. « J’ai été l’esclave de mes passions, jamais d’un homme » déclare Caroline Otero. Elle n’a ni proxénètes ni maris, choisit ses amants. Libérée des carcans dans lesquels sont enfermées les femmes du monde, elle est provocatrice.  Elle monte à cheval, voyage seule dans le monde entier, bénéficiant de l’aura de la capitale française à l’étranger.

Portrait de courtisane
portrait de courtisane

Terrains de chasse

Les grisettes qui aspirent à devenir courtisanes doivent « chasser » sur les lieux fréquentés par la haute société parisienne. L’Opéra, les courses hippiques, le Bois de Boulogne sont des terrains privilégiés ; de même que les bals, tels la Closerie des Lilas, où les hommes aiment s’encanailler. La scène est un autre moyen de se faire remarquer ; les artistes femmes ne peuvent survivre financièrement sans un protecteur ; les plus talentueuses deviennent de célèbres courtisanes ; les autres sont jetées en pâture aux bourgeois ; un contemporain évoque « la traite des planches ». Caroline Otero est une excellente danseuse ; elle fait ses débuts dans des cabarets, y attire l’attention d’un banquier qui lui présente un imprésario, et accède à la célébrité. Liane de Pougy débute aux Folies Bergères ; « elle joue mieux couchée que debout » dirent les critiques.

En quête d’une proie dans un grand restaurant

Leurs amants               

Ils viennent du monde de l’aristocratie, mais surtout de la grande bourgeoisie d’affaire. L’expansion économique sans précédent à partir des années 1850 fait naitre de nouvelles fortunes. L’argent prend progressivement le pas sur la naissance. Les « nouveaux riches » veulent afficher leur réussite par de somptueuses demeures, des œuvres d’art…et une célèbre courtisane. A la différence d’une vulgaire maîtresse, la courtisane est exhibée avec fierté. Caroline Otero est surnommée la sirène des suicidés : plusieurs de ses amants se sont donné la mort pour elle. La Comtesse de Castiglione entretient une relation avec l’Empereur Napoléon III.  Certaines font naître des passions chez les artistes, tel Marie Duplessis et Franz Liszt ; morte de tuberculose, immortalisée par « La Dame aux Camélia » elle devient une véritable icône du Romantisme. Jeanne Toussaint connaît une grande histoire d’amour avec Louis Cartier, et Valtesse de la Bigne avec Jacques Offenbach.

Des fortunes considérables     

 Le succès d’une courtisane se mesure à sa fortune. Ses honoraires sont extravagants.  Le spectaculaire est la règle. Son attirance pour le luxe est sans limites. La Païva se fait construire un hôtel particulier sur les Champs Élysées, pour lequel elle fait appel aux meilleurs artistes ; du lait ou du champagne coulent des robinets en or de la baignoire. La surcharge décorative, l’accumulation de matériaux précieux, est de mise dans un intérieur de courtisane.  Le lit a une importance particulière car « la fortune ne vient pas en dormant seule » déclare la Belle Otero. La courtisane doit briller, frapper l’imaginaire collectif. Elle s’autorise, à la différence des femmes du monde, toutes les excentricités et les excès dans son apparence. Elle fait la fortune des joailliers et de la Haute Couture. Elle s’habille de couleurs vives, se maquille avec audace, teinte sa chevelure. Elle mène souvent sa carrière en véritable femme d’affaires.

Escalier en marbre de l’hôtel de la Païva, Champs-Elysées.

Influenceuses avant l’heure 

Certaines courtisanes ont inspiré la mode, et en font parfois profession. Liane de Pougy fut l’une des mécènes de Lalique et porte ses bijoux. Les amies courtisanes de Coco Chanel sont ses ambassadrices ; elles sont les premières à oser porter ses créations. Jeanne Toussaint dirige le département luxe de Cartier ; elle va y élaborer le fameux bijou en forme de panthère, « double de moi-même, sauvage et dominante ». Dans le domaine de la santé, elles diffusent des pratiques de contraception, tel l’usage du préservatif en boyau de mouton. Elles ont parfois recours à des pratiques d’avortement à l’aide de produits souvent inefficaces et dangereux. Soucieuses d’hygiène, elles sont parmi les premières à faire installer des salles de bains et des bidets à une époque où la toilette est encore sommaire.

Jeanne Toussaint créa la célèbre Panthère de Cartier

Utilisation des « médias » 

Au milieu du 19ème siècle, la culture du visuel est en plein essor, les courtisanes en exploitent toutes les ressources. Elles se font photographier par des professionnels, diffusent leur image à l’aide de cartes postales. Elles posent pour des publicités, et figurent sur des affiches qui envahissent le paysage urbain.  Elles propagent le personnage de légende qu’elles se sont façonnées, mettent en scène leurs frasques et leurs excentricités. Elles font rêver les hommes, tandis que les femmes « respectables » les jalousent secrètement.

Sorties de scène                 

 Quand la vieillesse les rattrape, les courtisanes connaissent des sorts plus ou moins tragiques, et parfois inattendus. La Castiglione finit ses jours recluse, en proie à la folie ; elle persiste à poser dans les tenues fastueuses de sa jeunesse ; plus tard, elle recouvre les miroirs de voiles noirs et ne sort qu’à la nuit tombée ; elle est retrouvée morte entourée des dépouilles empaillées de ses chiens. Liane de Pougy se lie d’amitié avec la mère supérieure d’un établissement pour handicapés mentaux, qu’elle soutient financièrement ; veuve, elle entre au couvent où elle est inhumée. Caroline Otero, joueuse invétérée, perd toute sa fortune et termine ses jours dans un modeste studio à Nice ; la veille de sa mort, elle va chez son petit traiteur habituel commander son repas et lui dit « ce soir, deux portions, nous serons deux »…

La Castiglione âgée posant dans ses tenues de jeunesse.