L’occupation du site du jardin du Luxembourg commence il y a plus de deux mille ans, avec les romains. Maudit et hanté au Moyen âge, il est exorcisé par une communauté de moines qui y bâtissent leur monastère. Quatre cents ans plus tard, une reine construit un palais somptueux. L’histoire tumultueuse du lieu se poursuit jusqu’à nos jours.
Au temps de Lutèce, en 50 av.J.C
Les romains établissent leur centre administratif sur l’île de la Cité. La population s’installe rive gauche, dans la zone inoccupée jusque-là de l’actuel Luxembourg, comme en témoignent les nombreux vestiges retrouvés. De la vaisselle de verre, des manches de miroir, bijoux, fourchettes en argent, attestent de la présence de luxueuses villas. Un four et des débris de poteries prouvent l’implantation d’ateliers de céramique. Une centaine de puits remplis d’objets, d’aliments, et de squelettes humains, révèlent la pratique de sacrifices, et d’un lieu de culte. Des agrafes de manteaux, des harnais et mors et des ornements de ceinturons, permettent d’affirmer la présence d’un camp militaire.
Vauvert le vallon vert
Lutèce est mise à sac par les vagues d’invasion barbares, à la fin du 3ème siècle. Seuls quelques vestiges témoignent aujourd’hui dans Paris des siècles d’occupation romaine; les arènes et les thermes de Cluny sont les plus spectaculaires. Les Francs s’emparent du pouvoir et s’installent rive droite. Eloigné du nouveau centre de la ville, déserté, le site du Luxembourg devient une zone champêtre surnommée Vauvert, d’après le latin Vallis viridis « vallon vert ». C’est un lieu calme, à l’écart de l’agitation de Paris, sur la route du sud, fréquentés par de rares promeneurs.
Un lieu maudit au 10ème siècle
Le roi Robert le Pieux, séduit par la beauté et l’aspect sauvage du site, fait édifier un somptueux palais. Sa vie privée est tumultueuse. Il répudie son épouse légitime, garde sa dot, et épouse sa cousine. Le pape l’excommunie et voue le couple à la damnation éternelle. Le palais, laissé à l’abandon après leur mort, est l’objet de rumeurs. Hanté, des passants prétendent avoir vu des monstres et entendu des bruits sinistres. Le château est devenu repaire de malfaiteurs assurés de jouirent d’une tranquillité absolue. Les Parisiens font de longs détours pour l’éviter. Il donne naissance à l’expression courante « aller au diable Vauvert ».
L’arrivée des moines au 13ème siècle
L’ordre des Chartreux est créé par Saint Bruno au 12ème siècle. La règle de vie de ses moines se résume en trois mots : « Aller au désert », c’est à dire se retirer du monde pour prier. En 1257, le roi Saint Louis leur demande d’établir un monastère aux abords de la capitale. Ils choisissent Vauvert. L’endroit est calme et isolé, en dehors des enceintes de la ville. Mais proche de l’université de Paris, la future Sorbonne. Le monarque, indigné par le choix de ce lieu maudit, oppose un refus net aux moines puis finit par céder face à leur détermination.
Un exorcisme et un chantier
Les religieux doivent débarrasser le lieu de ses créatures démoniaques. Dès leur arrivée, jours et nuits, ils s’adonnent à la prière et font des processions, jusqu’à « contraindre les malins esprits de quitter la place et de s’évanouir comme fumée » comme le rapportent les récits de l’époque. La paix retrouvée, ils démarrent leur chantier sur le champ de ruine qu’était devenu le château de Robert le Pieux. Soutenus par le roi et le pape, ils érigent un monastère avec une église, un réfectoire, un dortoir, une salle du chapitre, un cloître. L’ensemble des bâtiments est protégé par une enceinte et se situe au sud de l’actuel jardin du Luxembourg.
La reine Marie de Médicis au 17ème siècle
La veuve du roi Henri IV est arrêtée par son fils le roi Louis XIII, pour avoir tenté de s’ingérer dans les affaires du royaume. Après des années d’exil forcé, elle est tolérée à Paris sous condition de vivre éloignée de la Cour. Elle jette son dévolu sur le site du Luxembourg, à l’écart de la capitale. La partie sud est occupée par les moines, mais il reste suffisamment d’espace au nord pour réaliser son ambitieux projet, recréer le cadre de son enfance, le Palais Pitti à Florence. Elle confie le chantier à Salomon de Brosse, le plus italien des architectes français.
Des querelles de voisinage
Le monastère et ses dépendances empêchent la reine d’agrandir son domaine vers le sud et de jouir d’une vue dégagée. Elle essaye, en vain, de contraindre les moines au départ par des propositions d’achat extravagantes. De leur côté, les Chartreux, installés depuis près de quatre cents ans, considèrent cette voisine avec hostilité. Elle trouble leur quotidien comme en témoigne la lettre adressée par le prieur « il ne peut se dire, madame, combien de ces âmes nourries et habituées au silence recevront de distraction lorsque, célébrant la messe, ils auront les oreilles remplies de votre tumulte ».
Le Luxembourg après la mort de la reine
L’installation de Marie de Médicis a transformé le site champêtre de Vauvert en un quartier élégant. De nombreux aristocrates construisent leurs hôtels particuliers. A sa mort, son fils cadet Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, occupe le palais. Les jardins, mal entretenus, se détériorent. Ouverts à tous, les habitants du quartier s’y promènent. Louis XIV mandate le célèbre Le Nôtre pour les restaurer et les redessiner. Ils seront à nouveau détruits par la Révolution. Les jardins actuels ont été dessinés sous Napoléon 1er.
La scandaleuse Duchesse de Berry
En 1715, le palais est cédé à la Duchesse de Berry, jeune veuve de vingt ans et fille du Régent. Elle ferme l’accès du jardin au public pour mener sa vie de débauchée. Le Tout Paris se scandalise, donne des détails de ses grossesses avortées et de sa maladie. A l’agonie, elle injurie son confesseur qui refuse de lui donner les derniers sacrements si elle ne se repent pas. A sa mort, le jardin est à nouveau ouvert au public.
Le premier musée en 1750
En 1750, le directeur des bâtiments de France du roi Louis XV installe dans les ailes Est et Ouest du palais une exposition permanente de tableaux. Ils sont sélectionnés parmi les oeuvres de la collection royale, afin de permettre aux parisiens de les admirer. Le musée leur est accessible deux jours par semaine. Fermé au public en 1780, l’institution ouvre à nouveau à partir de 1820 pour se consacrer aux oeuvres d’artistes vivants. Depuis 2000, les expositions temporaires sont régulièrement présentées.
Une prison sous la révolution
Dès 1789, les arrestations sont nombreuses et les lieux d’incarcération manquent. Les couvents, hôpitaux et casernes, sont réquisitionnés. Le palais du Luxembourg est converti en prison. La surveillance est difficile. De hautes murailles sont élevées afin d’empêcher les détenus de communiquer avec les visiteurs qui circulent dans le jardin ouvert à tous. Sur les arbres est apposé l’inscription « citoyens passez votre chemin sans lever les yeux sur les fenêtres de cette maison d’arrêt ». La nouvelle prison du Luxembourg devient l’antichambre du tribunal révolutionnaire, ultime étape avant la guillotine. Danton aurait déclaré à l’un de ses compagnons de cellule, poète qui se lamentait de n’avoir pu achever son poème « des vers, avant huit jours, tu en auras plus que tu ne voudras… ». David, autre détenu célèbre, a réalisé des peintures de la vue depuis la fenêtre de sa cellule.
Le départ forcé des moines
Dans la France entière, les religieux sont expulsés et leurs domaines détruits, transformés ou démembrés. Le monastère est abandonné. Réduit à l’état de ruines, tous les bâtiments seront détruits. Mais l’héritage immatériel des Chartreux est important. Ils excellaient dans tous les domaines de l’horticulture. Leur conservatoire de plantes médicinales était réputé. Les écrits dans lesquels ils prenaient soin de consigner leur savoir ont été préservés et leurs techniques sont toujours enseignées dans l’école d’horticulture crée sous Napoléon 1er. Les collections de plantes, les variétés de fruits (plus de six cents pommes et poires différentes), et le rucher école, contribuent également à la réputation du Luxembourg.
Les ruines du monastère
Le couvent et ses dépendances, laissés à l’abandon à la révolution, deviennent rapidement un champ de ruines qui séduit les romantiques, tels Chateaubriand. La décision au début du 19ème siècle d’aménager des jardins pour mettre en valeur l’Observatoire signe l’arrêt de mort du domaine monacal. Le site est « nettoyé » malgré les nombreuses oppositions. « Ce lieu disparu, c’était comme un jardin oublié de l’autre siècle, joli comme un doux sourire de vieille » écrit Guy de Maupassant.
Napoléon 1er et le Sénat
L’empereur affecte le palais et ses jardins au Sénat. Le palais a peu souffert de la révolution. Il bénéficie d’un réaménagement partiel, avec la construction d’une salle d’assemblée par Chalgrin, auteur de l’Arc de Triomphe. Mais les jardins ont été malmenés, les vestiges sont rares. Napoléon les fait redessiner tels qu’ils sont aujourd’hui. Le Luxembourg jouit d’un statut unique d’enclave territoriale. Le Sénat assure la gestion, l’entretien et la surveillance des bâtiments, plantations, sculptures…Quatre-vingts jardiniers sont attachés au jardin; recrutés sur concours, ils bénéficient de privilèges en tant que fonctionnaires du Sénat.
Haussmann menace le Luxembourg
Le baron Haussmann est nommé préfet de la Seine en 1852. Le palais et ses abords ont déjà été restaurés par Napoléon, et les ruines du domaine des chartreux remplacées par les jardins de l’Observatoire. Le percement des boulevards Saint-Michel, de la rue Auguste Comte et de la rue Médicis dessine les nouvelles limites du jardin en le réduisant de moitié. Les parcelles récupérées sont loties. Les parisiens protestent, les slogans « halte aux spéculateurs », « »sauvons le Luxembourg », circulent. Les promoteurs leur opposent que « les habitants des quartiers que séparent le jardin éprouveraient un grand plaisir à se rapprocher… », argument d’une mauvaise foi déconcertante.
La seconde guerre mondiale
Le Luxembourg connait une nouvelle période trouble à partir de 1940, sous l’Occupation allemande. L’état-major de la Luftwaffe (flotte aérienne allemande) réquisitionne l’ensemble du site durant quatre ans. Le président du Sénat proteste auprès du maréchal Pétain contre « la désinvolture avec laquelle cette prise de possession a été opérée »… L’intérieur du palais est considérablement modifié. Un réseau de galeries souterraines sont creusées dans les jardins, ainsi qu’un gigantesque blockhaus en béton. Des statues de bronze sont fondues. A la Libération de Paris, le Luxembourg est au centre des combats. Le jardin et son palais sont restaurés après la guerre.
L’origine du nom « Luxembourg »
Il vient d’un bâtiment discret, à peine visible derrière ses grilles, construit au milieu du 16ème siècle pour un certain Français de Luxembourg. Il le cède à la reine Marie de Médicis qui l’occupe durant le chantier de son futur palais. Le président du Sénat y réside désormais. Il semble étrange et illogique que le jardin ne soit pas baptisé du nom de Marie de Médicis qui a laissé une marque profonde. Mais son impopularité était telle auprès des parisiens qu’on lui préféra le nom d’un personnage oublié. Il existe une autre appellation, peut-être plus légitime, et connue des seuls habitués : le Luco, abréviation de Lucotitius, qui était il y a deux mille ans le nom du faubourg de Lutèce où se situe le jardin.
Le jardin des intellos
La proximité des universités, des maisons d’édition et des librairies, attire depuis le Moyen Âge dans le jardin de nombreux intellectuels, tels les Chartreux, les philosophes des Lumières, les peintres et poètes romantiques, et aujourd’hui des célébrités du monde des arts et des lettres. Une gazette évoque « Diderot, errant, une redingote de peluche grise éreintée, la manchette déchirée et les bas de laine noirs recousus par derrière avec du fil blanc ». Alfred de Musset décrit un lieu charmant, l’écolier son livre à la main, le rêveur avec sa paresse, l’amoureux avec sa maîtresse, tous entrainent là comme en paradis ».
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